Avoir les yeux de Chimène

Boileau, Satires, IX, vers 232 (1667)
Lorsqu'en 1637 Corneille fit représenter le Cid, le public lui fit un accueil triomphal qui dut éveiller quelques jalousies parmi les confrères de l'auteur. Un Rouennais pouvait-il impunément s'imposer à Paris ? C'est un compatriote, Georges de Scudéry, qui attacha son nom à la querelle du Cid en attaquant Corneille sur le plan théorique et entraînant à sa suite les milieux intellectuels parisiens, peut-être avec l'appui de Richelieu. Le ministre pouvait voir d'un mauvais œil, en effet, cet acte d'indépendance d'un de ses auteurs, puisque Corneille appartenait au groupe des Cinq Auteurs patronnés par Richelieu.
L'Académie elle-même dut prendre position et reprocha à Corneille de n'avoir pas respecté dans le Cid les règles classiques, la bienséance et la morale.
Dans cette condamnation, plus nuancée que celle de Scudéry, on a pu voir aussi la patte de Richelieu, bien que son rôle soit contesté dans la querelle.
C'est à ces événements que fait allusion Boileau dans sa IXe satire :
« En vain contre le Cid un ministre se ligue,
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue. »
C'est donc la bonne poésie attaquée par la critique et vengée par le public que désigne primitivement l'allusion. Mais on dit bientôt qu'avait les yeux de Rodrigue l'amant trop aveuglé par la passion pour voir les défauts de sa maîtresse. La bienséance inventa donc les yeux de Chimène, puisque les hommes n'ont ni le monopole du cœur ni celui de l'aveuglement. C'est une expression qui est restée au sens figuré.


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