Un ange passe

L'expression se dit quand il y a un silence prolongé dans l'assemblée : tout le monde s'est tu en même temps. 
L'ange en question est sans doute évoqué pour conjurer la gêne et le début d'angoisse que suscite le silence dans toute réunion mondaine.
Selon Vilmos Bardosi, il s'agirait de la version chrétienne d'une locution latine qui mettait en jeu le dieu Mercure, garant de la discrétion propice au commerce.


Un billet doux

Lettre d'amour 
« Ne voilà-t-il pas un billet doux qu'elle laisse tomber de sa poche ? », Beaumarchais, le Mariage de Figaro 
« Entre tant de métiers mis dans votre panage, C'est celui de porter, je crois, des billets doux Qui vous occupe davantage », Regnard 
« Billets de change étaient mes billets doux », Voltaire 
« On sait, pour lire unbillet doux, Quel moyen prennent nos coquettes », Béranger

Notons qu'à en croire une experte, Ninon de Lenclos, les regards sont les premiers billets doux des amants...


Un cercle vicieux

C'est la quadrature du cercle pour s'en sortir 
Le vice est ici un vice de logique. Vous voulez donner pour preuve la supposition d'où vous êtes parti. 
Le langage courant donne un autre sens à ce cercle : c'est une situation vicieuse dans laquelle vous vous êtes enfermé, un cercle magique d'où vous ne pouvez plus vous échapper. C'est la quadrature du cercle pour vous en sortir !


Un château de cartes

Vieille bicoque en carton 
Au temps des contes de Perrault, un château de carte (au singulier) était une bicoque peu solide comme faite en carton.
Le mot carte n'étant plus utilisé dans ce sens, le terme sera repris par les enfants qui s'amusent à édifier une construction la plus haute possible en superposant des cartes à jouer.

Un enfant naturel

Créé par les juristes, ce curieux terme d'enfant naturel s'oppose à celui d'enfant légitime, celui né d'un couple marié selon les lois de l'Église. 
Les enfants nés hors mariage furent appelés naturels car considérés comme une constante de la nature dépravée de l'homme.
« Chassez le naturel, il revient au galop », comme dira Destouches dans sa pièce Le glorieux, en 1732...


Un faire-part

Pour prendre part 
Faire part de quelque chose à quelqu'un signifiait autrefois lui donner la part qui lui revenait. 
Au XVIe siècle, apparaîtra le sens de faire connaître. 
En 1830, le faire-part de décès, invitation à prendre part à la cérémonie religieuse et au chagrin qui avait frappé ses proches.


Un homme de sac et de corde

Juste bon à finir pendu ou noyé 
Les voleurs étaient punis de façon exemplaire au Moyen Âge. Les grands criminels finissaient pendus haut et court à une corde, pour l'exemple. Quand aux petites petites fripouilles, la justice préférait s'en débarrasser en les noyant après les avoir enfermés dans un sac. 
Tel était le sort funeste promis à tous les malfrats, verts-galants, tire-laine, coupeurs de bourse et coupe-jarrets du temps de François Villon, des coquins à mettre tous dans le même sac et à condamner en bloc.


Un lieu noir de monde

Tout de noir vêtu 
Expression que la plupart emploient sans songer à son sens réel : Au XIXe siècle, les convenances exigeaient pour sortir en public une tenue noire ou sombre, même pour se promener le dimanche en famille...


Un m'as-tu vu

M'as-tu vu ou un m'as-tu lu 
Se dit d'un acteur, d'un écrivain, qui, fort infatué de sa façon de jouer ou d'écrire, demande à tout venant si on l'a vu dans tel rôle ou si on a lu tel article qu'il vient de rédiger. D'une manière générale, aujourd'hui, un m'as-tu vu est un fanfaron.


Un nom à coucher dehors

Avec ou sans billet de logement 
Malgré la méfiance à l'égard des brigands qui battaient la campagne, l'hospitalité n'était pas un vain mot au Moyen Âge. Le paysan comme le nobliau ne craignait pas d'ouvrir grande sa maison aux hôtes de passage et de partager avec eux le vaste lit familial où dormaient déjà son épouse et ses enfants. 
Pour cela, il suffisait que l'étranger frappant à l'huis décline une identité convenable, pas un nom à coucher dehors.
Cette hospitalité était souvent forcée quand arrivait le châtelain et les gens de sa suite. Exerçant le droit de gîte, le seigneur avait licence de jeter dehors le vilain, sa famille et ses bêtes pour prendre leur place pour la nuit ! 
Le XIXe siècle reforcera la locution en lui adjoignant avec un billet de logement. Vieille habitude des armées en campagne de réquisitionner ainsi granges et chambres en ville pour loger la troupe et les officiers contre la promesse d'un paiement ultérieur pour le comptable des armées.


Un pauvre hère

Dans la série des parias (du tamoul parayan : homme de la dernière caste des Indiens, qui est un objet de mépris et d'exécration), le pauvre hère a sa place assurée. 
« Quittez les bois, vous ferez bien,
Vos pareils y sont misérables, 
Cancres, hères et pauvres diables » 
dit le gros chien de La Fontaine au loup maigre et affamé.
Deux hypothèses sont en présence pour ce pauvre hère unique. Traditionnellement, on le fait venir de l'allemand Herr, seigneur, employé par dérision, mais pour Bloch & Wartburg, il n'est pas impossible qu'il se rattache plutôt à haire, et ce serait alors un pèlerin, un moine mendiant ou autre pénitent de choc portant la haire.
Un usage bien oublié que cette chemise en crin ou poil de chèvre, appelée aussi cilice, mise à même la peau pour se faire mal, pour se torturer, s'écorcher l'épiderme en marchant, dans la plus pure tradition masochiste appelée gaiement esprit de mortification...
Certains y ajoutaient même des clous pour être bien sûrs de leur effet ! Saint Louis, monarque passablement réactionnaire et confit en dévotion, était friand de ces plaisirs − d'où son grade posthume : 
« En l'abeïe du Lis sont les heres que St Loys portait, une faite à la manière de gardecors longue jusque desouz la ceinture, et l'autre faite à la manière de ceinture... »
Pourtant, la haire était un objet décrié depuis longtemps et le symbole de l'hypocrisie religieuse de celui qui en fait trop. Molière a repris cette notion-là dans Tartuffe : « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline », mais la plaisanterie comme le personnage étaient traditionnels depuis des siècles. En 1125, alors que saint Louis était encore un gamin, le Roman de la Rose présente Papelardie, l'hypocrite, la bigote, la fausse marmiteuse toujours occupée :
« De fere Deu preires faintes et d'appeler et sainz et saintes [...] fu par samblant ententive* [appliquée] dont tot a bones ovres faire, et si* avoit vestue haire, [et aussi]...»
En tout cas c'est bien dans le sens de pèlerin, de moine errant, et faux dévot, que Rabelais emploie le mot. Il défend l'entrée de son abbaye de Thélème à beaucoup de gens, mais en tout premier lieu il est écrit sur la porte :
« Cy n'entrez pas, hypocrites, bigots... Ny ostrogotz, precurseurs des magotz* [singes hypocrites] Haires, cagotz, caffars empantouflez, Geux mitouflez, frapars escorniflez*, [moines mendiants] Befflez, enflez, fagoteurs de tabus, etc. » 
Gargantua, chap. XXII
Il est vrai qu'il emploie aussi par ailleurs pauvre haire pour désigner un pénis ! Panurge ayant manqué d'être rôti à la broche par les Turcs raconte : 
« Un jeune Tudesque [...] regardoit mon pauvre haire esmouché, comment il s'estoit retiré au feu ; car il ne me alloit que jusques sur les genoulx »
Pantagruel, chap. II 
À moins que justement, son vit, avec son capuchon, ne lui fasse penser à un moine !!! Enfin, le pauvre hère est un minable. À la même époque, Bonaventure Des Périers parle d'un « renard qu'il avait fait nourrir petit ; et lui avait-on fait couper la queue, et pour cela l'appelait-on pauvre haire. »
Remarque pratique, qui peut rendre service à certains : « Here, est aussi un jeu de cartes, où l'on ne donne qu'une carte à chaque personne. On la peut changer contre son voisin, & celui à qui la plus basse carte demeure perd le coup. Le here est le jeu des pères de famille, parcequ'ils y font joüer jusqu'aux plus petits enfans », Furetière.


Un pot-pourri

Plein de viandes écrasées 
Pot-pourri est la traduction de olla porida, vieille recette espagnole d'un ragoût à base de différentes viandes et de légumes qui cuisent de longues heures. Rabelais appréciait fort cette recette. Pourri a ici le sens figuré d'écrasé en purée et non de putréfié. 
Pot-pourri ne se dit plus en français que d'un mélange d'airs de musiques connus.


Un quart d'heure de battement

De balancier d'horloge 
Certains regrettent de ne plus vivre au rythme de la vieille horloge, de ses heures qui sonnaient, de son balancier qui battait la seconde. C'est ce mouvement du balancier qui a donné naissance au terme de battement pour désigner un intervalle de temps.


Un roman de cape et d'épée

De gentilshommes désargentés 
Le terme date d'Alexandre Dumas, et s'inspire d'une expression ancienne, n'avoir que la cape et l'épée qui signifiait être sans argent. 
Exactement la situation dans laquelle se trouvaient les trois Mousquetaires au début de leurs aventures.


Un vrai coup de fusil

Une note salée 
Le terme note salée date du XVIIIe siècle, du temps où le sel, frappé des droits de gabelle, était une denrée très onéreuse. Au restaurant aujourd'hui, on parle de coup de fusil
Bien que l'expression ne date que des années 30, la comparaison entre clients et gibier à poils ou à plumes est ancienne. Au temps du Bonheur des Dames de Zola, les soldeurs qui refilaient des vieux rossignols à un client de passage appelaient cette pratique faire un coup de fusil
Les rossignols étaient, au temps de Balzac, les livres invendables, rangés dans les plus hauts casiers chez les libraires. Comme des rossignols perchés sur la plus haute branche d'un arbre.

Une brune piquante

Jolie brune dont la beauté ou le charme suscite le désir.


Une cote mal taillée

Un impôt à l'assiette injuste 
Une cote mal taillée est un compromis qui ne satisfait personne. Rien de surprenant à cela : la cote était un impôt (on parle encore de cote immobilière). 
Quoi de plus impopulaire que l'impôt, surtout quand il est injustement réparti entre tous, c'est-à-dire mal taillé ? 
La taille était la redevance annuelle en denrées ou en argent que le manant (taillable et corvéable à merci) devait au seigneur en échange de sa protection. Son nom vient de l'entaille faite à chaque règlement sur une petite bûchette de bois. 
Le jeu de mots vestimentaire avec une cotte (salopette) mal taillée a conservé l'expression bien vivante.


Une jeune fille au pair

Une nurse à bon marché 
Dans son sens économique, le pair était l'ancien nom pour désigner la parité, le cours, la valeur d'échange d'une monnaie. 
C'était l'époque où les familles aisées engageaient des répétiteurs au pair pour donner des leçons à leurs enfants, en échange de la nourriture et du logement. Quittant sa bonne d'enfant ou sa nurse, il était temps que l'enfant commence à s'instruire. 
Aujourd'hui, ce n'est plus la nurse, c'est la jeune fille au pair qui élève les enfants des ménages de cadres. La mode en est venue des États-Unis. Nombreuses sont les au pair (c'est leur nom, en anglais) qui financent ainsi leurs études en Amérique.


Une réponse de Normand

Ptêt ben qu'oui, ptêt ben qu'non 
Les Normands ont toujours été considérés comme des gens rusés hésitant à prendre parti, et qui font toujours des réponses évasives. 
Réelle ou usurpée, la réputation de duplicité qui leur est faite pourrait trouver son fondement dans le vieux droit coutumier normand qui autorisait le dédit d'un marché dans les vingt-quatre heures. D'où le proverbe : « un Normand a son dit et son dédit » qui, mal compris, a aidé à établir cette fâcheuse réputation des Normands. 
Alors, cette réputation, méritée ou non ? ptêt ben qu'oui, ptêt ben qu'non...


Une voix de rogomme

La voix de rogomme est la voix rauque et éraillée des alcooliques. La voix de ceux qui autrefois abusaient du rogum, une boisson exotique à base de rhum. Mme de Maintenon en buvait. Une de ses lettres nous l'apprend.
Boire le rogomme signifiait alors boire une liqueur forte à la santé de quelqu'un. Liqueur naturellement achetée chez le rogomiste, le marchand d'eau-de-vie au XVIIIe siècle.


Valoir son pesant d'or

Poinçonné par l'État 
Le pesant était au XIIe siècle le poids réglementaire d'une monnaie. En ce temps où la fausse monnaie abondait, valoir son pesant d'argent ou valoir son pesant d'or signifiait une valeur certifiée. Le symbole de l'or lui apportera son sens de grande valeur.


Verbatim

Transcription au plus près d'une conversation d'ordre diplomatique 
Ce mot de bas latin (littéralement il aurait dit, soit mot à mot) est resté de haute diplomatie.


Vieux routier

Le mot désignait autrefois, au sens propre, un vieux soldat, et pillard, connaissant bien les routes : « Un vieux gentilhomme, éprouvé en divers hasards, et vrai routier de guerre », Rabelais
Il désigne au figuré celui qui a de l'expérience acquise au cours des ans, et qui connaît toutes les ruses : « C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour », La Fontaine, Le Chat et un vieux Rat
« Soyez amants, vous serez inventif : 
Tour ni détour, ruse ni stratagème 
Ne vous faudront : le plus jeune apprenti 
Est vieux routier dès le moment qu'il aime »
La Fontaine, Contes


Vivre aux crochets des autres

Comme un portefaix 
Les portefaix portaient jadis le nom de crocheteurs. Mlaherbe parle longuement des fameux crocheteurs du Porte-au-foin. Ils portaient leur fardeau à l'aide d'une hotte munie de deux crochets qui passaient sur leurs épaules. 
Être sur les crochets de quelqu'un avait déjà au XVIIe siècle le sens de vivre sur le dos d'un autre en se reposant sur lui pour les problèmes matériels. N'étant plus comprise au XIXe siècle, la locution sera altérée en vivre aux crochets et comprise comme soutirer de l'argent comme avec un crochet.

Vivre sur un grand pied

Avec démesure 
Rien à voir avec la reine Berthe à l'unique grand pied... Le pied a été longtemps unité de mesure (on dit encore être enterré à six pieds sous terre). C'est dans ce sens qu'il faut comprendre vivre sur un grand pied, avec démesure, ou être sur un pied d'égalité
Rien à voir avec la longueur des chaussures à la poulaine comme certains ont pu l'écrire.

Voir rouge

Concevoir une vive colère 
L'expression attestée au milieu du XIXe siècle, sous la plume d'Eugène Sue, signifie s'emporter au point de voir tout rouge, d'avoir les yeux injectés de sang. 
En fait, la locution procède d'une métonymie : la colère est censée injecter de sang les yeux, et la vision est symboliquement colorée de rouge. Celui qui voit rouge projette ses sentiments d'hostilité sur ce qui l'entoure. 
Très visuelle, cette locution est sémantiquement ambiguë : elle n'a guère de rapport avec la vision en rose et procède plutôt d'expressions comme être aveuglé par la colère. En outre, le rouge connote assez clairement le sang.


Vouer quelqu'un aux gémonies

Le mot gémonies vient du mot latin gemere (gémir), allusion probable aux gémissements des futures victimes dont le cadavre serait exposé au peuple. 
Dans l'ancienne Rome, la prison se trouvait sur les coteaux du Capitolin. Elle se composait en partie d'une grande chambre rectangulaire voûtée, sous laquelle se trouvait un cachot circulaire de 5 mètres de diamètre et de 2 mètres de haut. Nulle lumière ne pouvait y parvenir et le seul moyen d'y descendre était un orifice circulaire percé dans le sol de la pièce du haut.
Cette double construction servait de lieu de supplice aux criminels dont Rome voulait se débarrasser. Ils étaient jetés par le trou dans la pièce inférieure où les bourreaux les étranglaient à la lueur des torches.
Les cadavres étaient ensuite remontés par un croc et exposés sur les marches des gémonies, double escalier qui flanquait la porte de la prison, face au Forum. Après plusieurs jours d'exposition supposée faire réfléchir les Romains sur les dangers de s'en prendre à l'autorité, les dépouilles étaient jetées dans le Tibre.
Cette prison existe toujours et se visite gratuitement. Elle fut consacrée en 1539 en deux églises. Celle du dessus est dédiée à saint Joseph, l'inférieure à saint Pierre qui y aurait été détenu avant de subir le martyr.
De nos jours, on traîne quelqu'un aux gémonies quand on veut l'accabler d'outrages. De même, vouer une personne aux gémonies signifie la livrer au mépris public.


Y a plus de saisons !

Les choses − et notamment les conditions climatiques  ne sont plus ce qu'elles étaient ; tout est changé 
Repris dans la chanson de Mouloudji Tout fout l'camp (intitulée aussi Comme dit ma concierge), 1975, Y a plus d'saison est le titre d'un album de O. Fred (1978).

« Il n'y a plus de saisons.
− On ne m'enlèvera pas de l'idée que ce sont ces explosions atomiques qui détraquent le temps. » 
Pierre Daninos, Le Jacassin