Faire une panne

Voilà un terme qui dans le métier de comédien brûle d'actualité, un jargon technique en plein apogée. 
La panne, c'est le petit rôle, celui que personne ne voit, au théâtre comme au cinéma, l'éternel « Madame est servie » du Boulevard classique, la réplique unique, le personnage d'appoint, qui n'a pas de nom à lui, qui est juste indiqué sur les textes par un valet, ou un passant, ou une cliente, ou la dame au chien...
La panne qui est juste au-dessus de la figuration muette, le type qui croise le héros dans le film et qui lui donne l'heure, ou lui indique « Trois rues à droite, vous pouvez pas vous trompez », avec un geste du bras dans la direction. On lui répond « Merci » et il sort du champ.
Mais tout ceci est répété et donne lieu à une prise de vues spéciale. Pendant une heure ou deux, le temps qu'on règle la technique, qu'on le maquille, pendant qu'il reprend avec plus de voix, moins, un geste plus ample, ou plus décidé, le bonhomme se sent acteur.
Tout à coup, le monde s'intéresse à lui, la maquilleuse, le metteur en scène s'inquiètent à son sujet. L'autre, le comédien en vogue, lui adresse un regard... 
Panne, au XIXe siècle, a signifié misère − par extension, semble-t-il, du sens arrêt d'activité (cf. : tomber en panne).
«Ah ma pauvre fille, il y a donc de la panne !», dans Zola. Il s'est même forgé un adjectif : «panné − Terme populaire. Misérable. Il est bien panné. Il a un air panné » (Littré).
C'est bien le sort de ceux qui ont de temps en temps un « rôle ingrat ou de peu d'importance » (Esnault). Le Bloch & Wartburg dit superbement : « Panne, de l'argot des théâtres, est une spécialisation de misère. » 
Oui, les mots eux aussi se spécialisent !