Être bonne pâte

On dit d'une personne qu'elle est bonne pâte pour signifier qu'elle est bonne et de caractère facile, aimable. Déjà, au XVIe siècle, on disait de bonne paste.
Cette expression évoque tout simplement la malléabilité du caractère et la bonne qualité de substances alimentaires molles, notamment la pâte à pain. Ne dit-on pas aussi bon comme du (bon) pain


Être dans les petits papiers de quelqu'un

Être protégé, favorisé par lui, de manière généralement occulte (Définition du Littré, 1868) 
On trouve auparavant (1798) : être dans les papiers de quelqu'un et se mettre (bien, mal) dans les papiers de quelqu'un (1807, in Enckell).
Les petits papiers sont des notes plus ou moins secrètes où une personne est fichée et appréciée : l'expression, à l'origine, pouvait ne pas impliquer un jugement favorable et un soutien.

Être du bois dont on fait les flûtes

C'est être très accommodant, avoir l'échine souple, aussi souple que le roseau, ce bois dont on fait les flûtes, ou que l'érable, ce bois dont on fait les vielles, forme ancienne de l'expression.
À l'opposé, être du bois dont on fait les chefs, c'est être de la même trempe qu'un chef, aussi dur et robuste qu'un chêne.


Être en goguette

Tout réjoui 
Dérivé de l'ancien français gogue, joie, liesse, une goguette était un propos joyeux. 
Être en ses goguettes était être en joie, faire goguette était se régaler et se mettre en goguette, faire la noce.


Être en odeur de sainteté

La sépulture des saints passe pour répandre une odeur agréable. 
Cet adage ne s'est pas démenti lorsqu'on ouvrit le cercueil de sainte Bernadette Soubirous à Nevers en 1933 : il s'en dégagea, paraît-il une odeur de roses... 
« Odeur se dit figurément aux choses morales, & signifie Bonne ou mauvaise réputation. Cet homme est mort en odeur de sainteté. Il s'est mis en bonne odeur dans le monde », écrivait Furetière.
L'ennui est que c'est toujours en mourant que ce parfum se dégage le mieux. 


Être grosjean comme devant

Encore cocufié 
Grosjean était le nom du paysan facile à berner que les saltimbanques mettaient en scène sur leurs tréteaux pour faire rire la foule. 
Son nom deviendra synonyme de mari cocufié. 
Les adverbes devant et avant s'employaient autrefois indifféremment : il faut donc comprendre : aussi cocu qu'avant


Être réduit à la portion congrue

À la ration qui convient
Estimée convenable (congru signifie qui convient) mais en fait insuffisante, la portion congrue était la maigre pension annuelle du vicaire de campagne qui s'occupait d'une paroisse. Elle lui était octroyée sur les bénéfices de leurs grosses cures par les dignitaires de haut rang de l'Église qui préféraient vaquer à de plus nobles occupations à la Cour ou à l'évêché plutôt que de s'occuper de leurs ouailles dans leurs paroisses de campagne.


Être sur un pied d'égalité

En prenant le pied pour unité de mesure... (1671), cette expression se comprend comme sur un rapport d'égalité.


Être très collet monté

Forcé de hausser le col
La mode du collet monté remonte à Louis XIII. Ce grand col en passementerie ou en dentelle devait être soutenu par des renforts en carton et en fil de fer, ce qui donnait à la personne qui le portait un air des plus guindés. 
Être collet monté deviendra sous Louis XV synonyme de suranné car la mode en était passée. Son sens évoluera ensuite vers celui d'être affecté et rigide dans ses manières, à l'image des personnes âgées à cheval sur les principes.


Extrait de naissance

Copie certifiée conforme
Extrait par définition du ventre de sa mère lors de sa naissance, le citoyen est requis par l'Autorité de fournir un extrait de naissance pour en certifier la date.
Cet extrait est tiré du registre de l'état-civil. Il doit en être copié littéralement pour être certifié conforme par l'officier ministériel.
Cet extrait est aussi connu sous le nom de bulletin de naissance, celui que le défunt avale le jour de son décès !

Faire amende honorable

En chemise et corde au cou
Soumis à la question ordinaire de l'eau lui tordant les entrailles ou à la question extraordinaire des brodequins lui broyant les genoux, l'inculpé, même innocent, finissait par avouer le crime dont il était accusé.
Mais la justice féodale ne se contentait pas de ses aveux. Il fallait qu'il les renouvelle en public le jour de son châtiment.
Le condamné en chemise blanche, la corde au cou et un cierge à la main, devait demander pardon de ses crimes. Il faisait amende honorable devant Dieu et les hommes, et l'honneur lui était ainsi rendu. Il s'était amendé et pourrait ainsi échapper aux flammes éternelles.

Faire chanter quelqu'un


Le faire avouer sous la torture
Sous la torture, le prisonnier ne tarde jamais à chanter, à avouer. Tel était jadis le sens de faire chanter, faire parler contre son gré.
Au XVIIIe siècle, le verbe élargit son sens : de faire parler contre son gré, on en vient à la notion de faire agir contre son gré sous la menace de révélations compromettantes.
Au XIXe siècle, les premiers maîtres chanteurs perfectionneront encore le procédé : ils extorqueront de l'argent en échange de leur silence.


Faire danser l'anse du panier

Vieille pratique chez les cuisinières que de prélever une petite commission sur les commissions en comptant un peu plus cher à la patronne. Il suffisait de mettre les plus beaux fruits sur le dessus du panier.
Cette petite gratte s'appelait l'anse du panier.
Mais pourquoi la faire danser ? Simplement parce que faire danser quelqu'un avait le sens d'extorquer quelque chose sous la menace. Ce qui se dirait aujourd'hui faire chanter.

Faire des fredaines

« Les fredaines qu'on fait ensemble rendent camarades », disait Mme de Genlis au XVIIIe siècle.
 C'est sûrement vrai, et pas très méchant.

Les fredaines sont des écarts de conduite par folie de jeunesse, de tempérament ou autrement, précise Littré.
Ce mot quelque peu désuet aujourd'hui représente le féminin de l'adjectif fredain qui signifiait mauvais. Selon Bloch & Wartburg, il se rattache à un groupe de termes d'ancien provençal désignant un scélérat, avec pour origine lointaine celui qui a renié le serment prêté.

Faire du potin

En Normandie, pendant les longues soirées d'hiver, les femmes se réunissaient pour filer et bavarder. Chacune apportait sa potine, petit pot de terre cuite rempli de braises qu'elle déposait devant elle ou sous ses jupons.
C'est autour des potins que les commères passaient en revue tous les potins du village. Quand une dispute éclatait et que le ton montait, cela ne pouvait que faire du potin.


Faire florès

Se couvrir de fleurs
On ne voit plus les fleurs sous le bouquet de compliments adressés à ceux qui font florès, à ceux qui réussissent.
La coutume de jadis était pourtant de couvrir de fleurs la personne qui remportait un brillant succès.
Aux Jeux floraux de Toulouse, un concours de poésie qui existe depuis le XVe siècle, les lauréats reçoivent une fleur d'or ou d'argent.
La locution vient du provençal faire flori, faire le fleuri, le florissant, l'avantageux.



Faire l'école buissonnière

Par peur du bûcher
Par peur d'être dénoncés à l'Inquisition, les apôtres du luthéranisme ne pouvaient prêcher ou enseigner dans les lieux publics.
Ils étaient réduits à enseigner le catéchisme, à instruire leurs disciples, dans des endroits retirés en se dissimulant au milieu des buissons.



Faire la grasse matinée

Non, la grosse !
Gros et gras s'emploient souvent l'un pour l'autre. Pourtant ces deux adjectifs sont issus de mots latins différents : de grossus, même sens, et de crassus, épais.
Une grasse matinée est donc tout simplement une grosse matinée consacrée au sommeil et non une matinée passée au lit à faire du gras !



Faire la navette

Une navette (diminutif de nave ou nef, vaisseau à cause de sa forme de petite barque) est l'outil du tisserand qui va et vient inlassablement sur la chaîne du métier à tisser pour passer le fil de la trame.
Le sens d'aller et retour constants parle de lui-même. Elle a prêté à d'autres comparaisons ; selon Furetière, « on dit proverbialement d'une femme qui caquette bien, que la langue lui va comme une navette de tisserand. »


Faire la part du feu

Tout l'art pompier !
Le feu était un fléau redoutable au cœur des villes médiévales aux maisons de bois et aux ruelles étroites. Pas de pompe à incendie, seulement des seaux d'eau remplis à la rivière et passés de bras en bras. 
Pour empêcher le feu de ravager toute l'agglomération, il valait mieux lui sacrifier un pâté de maisons, quitte même à abattre jusqu'à un quartier de la ville, pour mieux le combattre un peu plus loin. 
Faire la part du feu était un moindre mal.


Faire la queue

À la queue a été utilisé dès le XVe siècle pour signifier derrière (une série de personnes disposées en file), et l'on disait à la queue de quelqu'un pour à sa suite, voire à sa poursuite !
Aller, se mettre à la queue se comprend dans une acception figurée comme parmi les derniers (d'un groupe). À la queue de est d'ailleurs quelque peu vieilli, et l'on dit aujourd'hui (être) en queue (de)
Il faut savoir que le mot queue (du latin cauda) désigne l'appendice postérieur de nombreux animaux, mais a évolué dans deux directions : d'une part, queue désigne toujours des appendices naturels ou des objets allongés, et d'autre part, il signifie l'extrémité, la fin, d'une manière abstraite.
La valeur symbolique de queue appliquée à l'homme s'est cristallisée au XVIe siècle dans le sens érotique du mot ; ce dernier est devenu courant et rend de nombreuses locutions anciennes inutilisables...
Ainsi, au XVIIe siècle, on pouvait se permettre de s'exclamer « je suis bien aise de voir votre queue » (1640, Oudin) quand il s'agissait seulement d'exprimer le souhait de voir quelqu'un partir (qu'il tourne le dos)... 


Faire la soudure

Entre deux récoltes
Ni autogène ni à l'arc ni au chalumeau.
Soudure est employé ici dans le sens d'assurer la transition entre deux situations : il s'agit d'assurer la soudure de blé entre deux récoltes, préoccupation essentielle des gouvernements successifs de l'Ancien Régime, soucieux d'éviter la disette et surtout les émeutes de la populace affamée réclamant du pain.


Faire la sucrée

Faire la douce, la mijaurée
L'expression est utilisée depuis le XVe siècle.
En 1640, Oudin donne pour équivalent : « Faire la sucrée, la modeste, la retenue ».
La variante Faire sa sucrée n'avait guère évolué dans le langage populaire du siècle dernier, où Delvau définit ainsi la chose : « Se choquer des discours les plus innocents comme s'ils étaient égrillards, et des actions les plus simples comme si elles étaient indécentes. L'expression est vieille — comme l'hypocrisie » (1867).


Faire le diable à quatre

Sur le parvis de Notre-Dame
Les jours de fête, il se jouait souvent sur le parvis des cathédrales ce qu'on appelait les Mystères, ces saynètes qui contaient aux fidèles des épisodes du Nouveau et de l'Ancien Testament.
Ces représentations pouvaient durer plusieurs jours. Pour distraire le public des histoires saintes, la troupe présentait en intermède des diableries. Il y avait les petites diableries à deux diables, et les grandes diableries à quatre diables qui menaient grand tapage.


Faire le tour du cadran

Travailler d'arrache-pied
L'expression date bien sûr du temps des cadrans solaires. Faire le tour du cadran ne consistait pas à dormir mais bien à travailler douze heures d'affilée, le temps que l'ombre du style projetée par le soleil se déplace d'un côté du cadran à l'autre.
L'invention de l'horloge et de ses aiguilles renversera complètement le sens de faire le tour du cadran. D'autant plus abusivement qu'un cadran (du latin quadra, carré) ne devait pas être rond mais carré !


Faire les quatre cents coups

Les coups de canon étaient signe de fête, ce qui explique le sens de la locution : mener une vie de patachon.
On les tirait à l'occasion de la naissance d'un prince ou à l'arrivée d'un souverain étranger.
Aujourd'hui encore, le Président de la République a le droit selon le protocolaire à 121 coups de canon lorsqu'il se rend dans une ville de garnison. Traditionnellement, on fait remonter la locution à la canonnade de 400 coups que Louis XII a fait tirer en 1621 sur Montauban, citadelle du protestantisme.
Les trois siècles qui séparent cet épisode guerrier de l'apparition de l'expression sous sa forme faire les quatre cents coups peuvent faire sérieusement douter de cette hypothèse. D'autant qu'au siècle dernier, Balzac se contentait de cents coups, portés à cent dix-neuf par Zola et Proust.
C'est sans doute la contagion de faire le diable à quatre, de sens voisin, qui a fait passer les coups de cent à quatre cents au début de ce siècle.


Faire litière de

Fouler au pied
Faire litière de ses ennemis se trouve déjà dans la bouche du héros d'une chanson de geste de 1200 dans le sens de joncher le sol de cadavres, à la manière dont un palefrenier répand par terre la litière d'un animal ; d'où l'idée de mépris qui s'attache à l'expression.



Faire oraison

Se recueillir
« Il est bon de faire oraison de temps à autre », Renan 
Faire oraison, c'est, au sens religieux, se recueillir pendant l'oraison, c'est-à-dire pendant le discours (oratio, en latin) du prêtre.
C'est ce qu'on appelle l'oraison mentale. Puis, l'expression a pris un sens plus étendu et s'est appliquée à toute façon de se recueillir et de méditer.


Faire partie du sérail

À l'origine, ce mot persan désignait le palais du sultan et son harem, lieu où seuls les familiers étaient admis, milieu restreint réservé aux favoris du prince.
Aujourd'hui, par extension, un homme politique fait partie du sérail quand on peut dire de lui qu'il est un fidèle du président ou Premier ministre ; bien que souvent dans l'ombre de son maître, il est informé des dessous, des secrets, des intrigues, mystères et arcanes du pouvoir avant de connaître, à son tour, un poste de responsabilité au grand jour.
Depuis peu, certains membres du gouvernement ne font plus partie du sérail, venant de ce qu'il est convenu d'appeler la société civile.


Faire sa grosse commission

Une tâche de confiance
Faire les commissions, c'est rapporter des emplettes qui ont été demandées. 
Pipi-caca choquait et choque encore certaines oreilles pudibondes. L'enfant sur le pot doit faire sa commission, grosse ou petite. Sa mère lui confie en quelque sorte la tâche de lui rapporter un objet. Le langage rejoint ici Freud qui voyait dans la défécation un cadeau que l'enfant faisait à sa mère. 
Dans son sens le plus courant, une commission est une tâche dont on est chargé.


Faire ses ablutions

Les ablutions sont faites pour se purifier, pas pour se rafraîchir vulgairement les idées en se passant de l'eau sur le bout du nez.
Elles font partie du rituel de la messe ; le prêtre fait une ablution (ablutio, de abluere, laver) lorsque, après la communion, il se rince les doigts avec du vin et de l'eau. Il les essuie ensuite avec un petit linge et, du temps où la messe se disait en latin, il récitait au même moment le Psaume XXVI, verset 6, qui commence ainsi : Lavabo inter innocentes manus meas (Je laverai mes mains parmi les innocents).
À force de répéter lavabo, etc. en s'essuyant les mains, les officiants appelèrent ainsi l'essuie-mains lui-même, puis le coin de l'autel où ils le rangeaient avec le vase.
Ce mot de sacristie passa aux ablutions profanes, pour désigner un meuble de toilette avec cuvette et pot à eau, puis avec la modernisation le bassin de faïence que l'on connaît.
C'est bien le comble de la déchéance pour un terme de liturgie que de finir, pour ainsi dire, au cabinet !!! 


Faire table rase

Notez-le bien sur vos tablettes : la table en question n'est pas celle sur laquelle on mange et que l'on débarrasse de sa vaisselle et de sa nappe, mais celle sur laquelle on écrit. 
On sait que les Romains écrivaient sur des tablettes de cire dont ils se servaient après les avoir effacées, une forme d'ancienne ardoise magique.


Faire tapisserie

Ou jouer les potiches
Reflets de toute une époque, les bals où les laiderons restaient assises toute la soirée, le long de la tapisserie, sans plus bouger que des potiches, attendant vainement qu'un cavalier les invite pour une valse.


Faire un cuir

Écorcher la langue 
On dit de celui qui fait un pataquès, cette liaison « mal-t-à-propos » : il fait un cuir
C'est normal, il écorche sa langue comme on écorche la peau des animaux pour en faire du cuir.


Faire un foin de tous les diables

Un grand feu de joie 
On disait autrefois faire un fouan du diable. En Wallonie, en Champagne, les fouans étaient de grands feux du type du feu de la Saint-Jean annonçant l'été, autour duquel danses et chansons joyeuses faisaient grand tapage. 
Ce qui explique le sens actuel de la locution : mener un grand sabbbat, faire le diable à quatre. Le mot fouan n'étant pas compris à Paris, les habitants de la capitale en feront tous un foin.


Faire un pique-nique

L'idée de manger dehors, sur un coin d'herbe ou de mousse, est loin d'être nouvelle. Ç'a même été le lot des paysans jusqu'à ce que l'automobile permette partout de rentrer des champs à midi, cependant que, pour le plaisir, les gens ont toujours aimé les parties de campagne, étaler les serviettes et vider les paniers en folâtrant sur l'herbette par un beau dimanche d'été.
Le Moyen Âge pratiquait déjà les déjeuners sur l'herbe, dans des cadres tout à fait romantiques, emplis du chant des petits oiseaux. Pourtant, ce n'est pas de ces fêtes en plein air qu'est venue la notion de pique-nique, pas plus que le mot.
Littré en donne une définition exacte, bien qu'il se trompe sur son origine : « Repas de plaisir où chacun paye son écot, et qui se fait soit en payant sa quote-part d'une dépense de plaisir, soit en apportant chacun son plat dans la maison où l'on se réunit. »
En effet, les premiers pique-niques, qui en ce sens remontent vraisemblablement à la toute fin du XVIIe siècle, se faisaient aussi bien au jardin que chez un particulier, et même à l'auberge !
Littré fait aussi venir le mot de l'anglais pick et nick, et il ajoute : « Cette étymologie dispense de toutes les étymologies qui ont été faites. Ce qui est une erreur d'autant plus évidente que l'anglais picnic est postérieur d'un demi-siècle au mot français dont il n'est que la traduction littérale − ou plutôt une adaptation son pour son. »
Le dictionnaire Bloch & Wartburg donne la première attestation de pique-nique en 1694, avec cette explication : « Composé du verbe piquer au sens de picorer (cf. piquer les tables, vivre en parasite, aux XVII et XVIIIes siècles), et de nique, chose sans valeur, moquerie, formation favorisée par la rime. »
Ce sens de piquer explique également l'existence de pique- assiette. D'autre part, aller à la pique, mendier en usant d'artifice, était une expression de l'argot des mendiants dès 1798.
Un piqueur au sens de chapardeur a d'abord été un mendiant éhonté (G. Esnault).


Faire une boulette

Commettre une petite bourde 
Si boulette voulait dire plaisanterie, on comprendrait que certains veulent motiver l'expression par la boulette de pain ou de papier mâché que se lancent les écoliers facétieux en classe ou au réfectoire. 
Mais son sens est celui de bévue ou de gaffe. Il faut plus y voir une déformation de bourde, une bourdette (si le mot a existé).

Faire une croix sur quelque chose

Faire le signe de croix 
Faire une croix sur n'est pas biffer un engagement écrit, mais faire une renonciation orale (à boire ou à fumer, par exemple) qui engage vraiment car elle est proclamée devant témoins. 
Jadis, pour rendre l'acte plus solennel, il fallait prendre le ciel à témoin et l'accompagner d'un signe de croix. Au XVIe siècle, faire le signe de croix sur le dos à avait le même sens de renoncer à quelque chose. L'idée est de dire un adieu définitif.

Faire une gaffe

Mettre les pieds dans le gué 
La gaffe dans son sens de maladresse, a une toute autre origine : Gafar en provençal signifiait passer à gué. D'où la double acception de gaffe : perche qui aidait à passer la rivière et maladresse du piéton qui patauge dans la boue du gué. 
En normand, patauger se dit pareillement gafouiller.


Fausser compagnie

De là à ne plus vouloir du tout faire partie du groupe et, comme on disait au XVe siècle, jouer à fausser compagnie, il n'y a qu'un pas. Furetière écrit à ce propos : « On dit fausser compagnie, ou joüer à la fausse compagnie, pour dire, quitter un parti, trahir ceux avec qui on est associé. »
En effet, c'est l'idée de trahison que paraît contenir le verbe fausser comme on dit fausse la monnaie : « Ceulz qui corrumptent ou falsent la monnoie (XIVe siècle), ou bien sa foi : Ce fut chose moult estrange à luy de ainsi faulser sa foi et soy ainsi abaisser », (XVe siècle). 
Les deux notions sont juxtaposées dans cette phrase de Montaigne : « Nostre intelligence se conduisant par la seule voye de la parole, celuy qui la faulse trahit la société. »
On parlait au XIIIe siècle de la compagnie Tassel, association frauduleuse, compagnie de traîtres, dit Godefroy qui cite le Lay de l'Espervier : 
« Vartilas, dit-il, ce sachiez
Que cest jeu ne m'est pas bel : 
C'est la compagnie Tassel 
Que vos me fetes, ben le voi. » 
L'expression se trouve aussi dans le Roman de Renart : « C'est la compaingnie Tassel
que vos me fetes voirement. » 
Est-cela, une fausse compagnie, une compagnie de traîtres, que l'on rejoint en s'en allant ?
Quant à l'autre expression récente faire fausse compagnie, au lieu de jouer, elle paraît construite d'après faire faux bond. Par contre, la notion de jeu qui n'est pas bel, semble être demeurée dans l'argotique jouer les filles de l'air.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une très vieille habitude que n'ont probablement pas instaurée les soldats !


Faux comme un jeton

Compter, c'était jeter
« Je ne sais calculer ni à jet ni à plume », disait Montaigne. Rien de surprenant à son époque où tout le monde écrivait encore les nombres en chiffres romains et où les gens qui savaient calculer étaient considérés comme de vrais magiciens. 
Il est impossible d'utiliser les chiffres romains pour faire une opération. Les marchands, les géomètres, les banquiers les employaient seulement pour en écrire les résultats. Pour calculer, on utilisait des jetons en os ou en ivoire ou en métal que l'on jetait sur des abaques, sorte de tables où étaient gravées des colonnes.
Certains jetons de cuivre ressemblaient à des pièces de monnaie. De là naîtra l'expression faux comme un jeton. Les calculateurs professionnels qui utilisaient l'albaque à jetons formaient une caste placée sous la haute protection de l'Église. Voulant garder leurs secrets, ils s'opposèrent longtemps à la diffusion du système des chiffres arabes et du zéro qui rendaient les calculs si faciles.
Ils firent même envoyer au bûcher comme suppôts de Satan certains propagateurs trop zélés des chiffres arabes.


Filer à l'anglaise

Prendre congé à la française 
Selon le Nouveau Larousse Illustré de 1898, il était coutume dans les bals et soirées londoniennes de se retirer sans aller saluer le maître et la maîtresse de maison tandis que l'obligation contraire, fort gênante pour les invités qui voulaient s'éclipser, régnait en France ; ce qui expliquerait la locution. 
Mais alors pourquoi les Britanniques emploient-ils l'expression similaire to take a French leave, partir en douce, sans prendre congé ? L'explication vient sans doute plus simplement de la vieille et profonde antipathie entre les deux peuples qui s'accusent réciproquement de tous les défauts et pis encore, d'être sans éducation.
Rosbifs et froggies (les mangeurs de grenouilles) ont été des ennemis héréditaires pendant de longs siècles. Cette animosité transparaît encore dans le langage. Outre-Manche, une maladie vénérienne est une French disease, la chaude-pisse s'appelle French gout et les capotes anglaises des French letters.
En France, au temps de Jeanne d'Arc, un Anglais était un grippe-sou. Et à l'école militaire de Saint-Cyr, l'élève- officier qui allait aux latrines disait qu'il allait écrire à l'Anglais (formule qui, en 1939, devint envoyer une lettre à Hitler).

Filer un mauvais coton

« On dit proverbialement, Cela jettera un beau coton, pour faire entendre qu'une chose mal entreprise produira un mauvais effet & qu'elle sera désavantageuse à ceux qui l'ont commencée. Cette façon de parler, quoiqu'elle ait passé de la ville à la Cour, est basse & ridicule. » 
Tel était le sentiment de Furetière sur cette expression et c'est peut-être pour être moins ridicules que nous disons, depuis le XIXe siècle, filer un mauvais coton
Pierre Guiraud, suivant en cela Maurice Rat, donne ici une interprétation arboricole : « Filer un mauvais coton, être dans un mauvais état de santé ou d'affaires, s'explique par la forme primitive de l'expression qui est de jeter un mauvais coton. Jeter signifie émettre une sécrétion.
On dit par exemple jeter sa gourme qui est une sorte d'inflammation boutonneuse qui atteint les petits enfants [...]. Jeter un mauvais coton aura donc pu se dire d'un cotonnier qui produit des boutons maladifs, et coton aura entraîné la pseudo-motivation filer. »
Sans vouloir porter ombrage à l'éminente érudition de M. Guiraud, il est assez étonnant que les gens du XVIIe siècle, et le peuple de Paris de surcroît, se soient intéressés d'aussi près aux cotonniers, ces arbres exotiques d'Inde ou d'Egypte, au point de nommer, sans les avoir jamais vus, une de leurs maladies possibles, et d'en faire une locution courante...
Tout au plus pouvaient-ils savoir − Olivier de Serres le dit − que les cotonniers jettent du coton, et à la rigueur en faire une plaisanterie.
Une étoffe vieillissante jette en effet une bourre cotonneuse qui est la marque de son usure, et qui laisse prévoir des déchirures, des accrocs, bref une détérioration complète du tissu dans un proche avenir.
C'est là l'interprétation donnée par G. Esnault, lequel note aussi pour 1692 jeter un vilain coton. Par contre, il semble logique que le coton de la locution ait conduit à filer, peut-être à cause des premières machines défectueuses au XVIIIe siècle, peut-être aussi par attraction avec une autre expression courante et ancienne : filer sa corde, qui voulait dire se livrer à des activités qui ne pouvaient qu'entraîner une fin désastreuse.
Il y a là une parenté certaine, surtout au sens que relève Furetière de «chose désavantageuse à ceux qui l'ont commencée », qui a pu produire le croisement.