Nerf de la guerre

L'argent

Expression attribuée à Démosthène par Eschine, contre Ctésiphon, 166, connue par Machiavel, qui la contredit dans Discours sur la première décade de Tite-Live, II, 10 (ca 1516).
Démosthène parle en fait de nerfs de la démocratie.




Ni ange, ni bête, mais homme

Blaise Pascal, Pensées, 140-522 (1670)
Souvent citée sous cette forme, l'expression renvoie plutôt à la pensée 358-678, plus explicite : « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête. Et pour savoir ce que recouvre cette opposition souvent à laquelle se réfère souvent Pascal, il faut se reporter aux développements de 413-410 : Cette guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu la paix se sont partagés en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions, et devenir dieux ; les autres ont voulu renoncer à la raison, et devenir bêtes brutes (Des Barreaux). Mais ils ne l'ont pu, ni les uns ni les autres ; et la raison demeure toujours, qui accuse la bassesse et l'injustice des passions, et qui trouble le repos de ceux qui s'y abandonnent ; et les passions sont toujours vivantes dans ceux qui veulent y renoncer. »
Cette opposition entre raison et passions se hiérarchise ensuite en une opposition entre grandeur et misère de l'homme : « Il ne faut pas que l'homme croie qu'il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un et l'autre » (418-121).
De là une formule qui fit beaucoup gloser : « S'il les vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante ; et le contredis toujours jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible » (420-130)
De là, donc, l' abêtissement que procure la religion qu'il ne faut pas prendre dans son sens péjoratif. Le paradoxe de l'homme est un des fondements de l'apologie de Pascal, puisque seule la foi permet d'en sortir.


Noblesse oblige

Duc de Lévis, Maximes et réfexions, n°51 (formule résumant la maxime 50) – (1808) 


Noces de Gamache

Festin où tout est servi à profusion

Comme aux noces de Gamache et de la belle Quiteria, que Cervantès décrit dans son Don Quichotte (2ème partie, chap. XX), et où furent servis un bœuf entier, des moutons, des lièvres, des poules, toutes sortes de gibiers, sans parler de soixante outres de vin de cinq pintes chacune, des monceaux de pains, de fromages, divers pâtisseries, le tout assez abondant pour nourrir une armée.
Attention à ne pas confondre, comme on le fait souvent, avec les noces de Cana, nom de la petite ville galiléenne où Jésus pour la première fois changea miraculeusement l'eau en vin.



Ô temps, suspends ton vol

Lamartine, Méditations poétiques, « le Lac » (1820)


Objets inanimés avez-vous donc une âme / Qui s'attache à notre âme et la force à aimer ?

Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, III, 2 (1865) 


On a souvent besoin d'un plus petit que soi

Jean de La Fontaine
« Le Lion et le Rat », Fables, II, 11 (1668)



On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans

Arthur Rimbaud, Poésies, « Le Bateau ivre » (1870-95)

On ne badine pas avec l'amour

Pièce de Alfred de Musset(1834)
Cette comédie oppose le monde hypocrite des adultes à la fraîcheur maladroite des adolescents qui découvrent l'amour. Ici, l'amour est vu comme une autre religion, celle de la pureté et de la jeunesse, et avec laquelle on ne plaisante pas impunément.
Il suffit pour faire allusion au proverbe de Musset de remplacer l'amour par tout autre domaine dont on ignorait les dangers et où l'on s'est aventuré imprudemment.


On ne peut pas être et avoir été

Chamfort, Maximes et anecdotes



On ne voit bien qu'avec son cœur

C'est le secret du renard, dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry (ch. XXI)
« On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux... C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante... Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose. »


Par-delà le bien et le mal

Livre de Nietzsche (1886)
« Jenseits von Gut und Böse. »



Passer comme le café

La Harpe, Cours de littérature, « Siècle de Louis XIV », I, III, ch. IV, s.3 (1799)
La tradition attribue volontiers à Mme de Sévigné ce jugement qui reste a contrario comme une menace pour le critique littéraire : « Racine passera comme le café ». Il est presque dommage pour l'esprit de la marquise qu'il faille lui retirer la maternité. La célèbre épistolière n'avait cependant pas englobé le dramaturge et la boisson dans un même anathème : sans doute l'admiratrice du vieil ami Corneille voyait-elle d'un mauvais œil le succès grandissant de son jeune rival ; cependant qu'elle ne ménagera pas, plus tard, son enthousiasme devant Phèdre ou Athalie
Si la critique souffre, selon Cabanis, du complexe de Pontmartin, c'est qu'elle a peur, aux yeux de la postérité, de ne pas reconnaître de son vivant un nouveau Baudelaire. Aussi, par prudence, encense-t-elle tout ce qui est suffisamment neuf pour sembler novateur.
Quant au café, elle n'y voyait tout d'abord qu'une de ces turqueries alors à la mode et destinée à s'évanouir avec les mamamouchis. C'est Soliman-Aga, ambassadeur de la Porte dorée et coqueluche des salons parisiens en 1669, qui en fit la boisson de ces dames.

L'histoire de Mme de Sévigné fut donc forgée après coup par ces historiens du XVIIIe siècle qui écrivaient comme on joue au téléphone arabe, en déformant chaque fois un peu plus ce qu'a dit le voisin.
Aujourd'hui, on emploie l'expression, ironiquement ou non, pour désigner les modes éphémères ou que l'on croit telles, les écrivains que l'on promet à l'oubli ou dont on regrette l'insuccès actuel.
On ne l'emploie plus comme au temps de Larousse pour stigmatiser le critique téméraire qui condamne une œuvre destinée à traverser les siècles. Dans ce cas, on se réfère davantage, depuis Cabanis (Plaisir et Lectures, t. II), au complexe de Pontmartin : faisant de la morale la pierre de touche de la critique littéraire, Pontmartin est désormais célèbre pour avoir traîné dans la boue qui lui servait d'encre Flaubert, Stendhal ou Baudelaire, hontes de la littérature française qui s'enorgueillissait des Victor de Laprade, Octave Feuillet et Georges Ohnet...





Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage

La Fontaine, « Le Lion et le Rat », Fables, II, 11 (1668)



Petit poisson deviendra grand / Pourvu que Dieu lui prête vie

La fontaine, Fables V, 3, « Le Petit Poisson et le Pêcheur » (1668)


Plaisir d'amour ne dure qu'un moment ; chagrin d'amour dure toute la vie

Florian, La Nouvelle Célestine 

Plus vite que son ombre

Très rapidement
Par référence au cow-boy Lucky Luke, personnage de Morris, qui dégaine et tire plus vite que son ombre.
« La très édifiante histoire de Liz Taylor, l'obèse qui maigrit plus vite que son ombre, redonne courage aux derrières fripés du troisième âge en leur faisant miroiter une retraite pleine de dignité et de yoghourts maigres » (L'Evénement du jeudi, 2 juin 1988)



Plutôt souffrir que mourir / C'est la devise des hommes

La fontaine, Fables I, 17, « La Mort et le Bûcheron » (1668)


Pour qui sonne le glas

John Donne, Devotion upon emergent occasions (1624)

For whom the bell tolls (Ne demande pas pour qui sonne le glas car il sonne pour toi.)

Repris comme titre d'un roman par Ernest Hemingway (1940).


Quelle odyssée !

Le dictionnaire définit ce mot comme un voyage plein d'aventures.
L'expression quelle odyssée ! est employée pour marquer la surprise mêlée d'admiration ou parfois compassion à l'écoute d'un récit d'aventures. Bien sûr, ces aventures ne sont nullement comparables à celles d'Ulysse, le héros de L'Odyssée, le poème d'Homère, père de la poésie grecque. Ce dernier, dont la vie nous est connue grâce à Hérodote et Plutarque, quitta sa patrie pour de longs voyages d'Asie Mineure en Égypte et retranscrivit dans ses poèmes les mœurs des peuples qu'il rencontrait.
Dans L'Odyssée, Ulysse, qui comme l'écrit du Bellay « a fait un beau voyage », erra de contrée en contrée après la prise de Troie, pour finalement retrouver Ithaque vingt ans plus tard.
Pendant cette odyssée, il alla chercher Pyrrhus dans l'île d'Argos, pénétra dans Troie en s'enfermant dans le célèbre cheval de bois, enleva les chevaux de Rhésus, obtint les armes d'Achille, dut affronter de nombreuses tempêtes, échappa à un cyclope, évita les enchantements de Circé, parvint à fuir les Mangeurs de Lotus qui voulaient lui faire oublier sa patrie, pasa sept années dans l'île d'Ogygie prisonnier de la nymphe Calypso, évita les écueils et les dangers de Charybde et Scylla mais fit maintes fois naufrage, perdit ses vaisseaux et ses compagnons.
Après de telles mésaventures, il aurait sans nul doute mérité de « vivre entre ses parents le reste de son âge » (du Bellay), mais à un héros extraordinaire, il faut une fin hors du commun.
Un oracle lui avait prédit qu'il périrait de la main de son fils. Il éloigna donc Télémaque mais fut tué par Télégonus, fils qu'il avait eu de Circé, ce qu'il ignorait. Télégonus, rejeté sur les côtes d'Ithaque par une tempête, commença à ravager le pays ; Ulysse voulut l'en empêcher et y laissa la vie.
Ainsi l'oracle s'accomplit-il.



Revenons à nos moutons

Comme maître Pathelin

Rien à voir avec Rabelais et ses moutons de Panurge qui, contrairement à ce que beaucoup pensent, ne lui appartenaient pas, mais au marchand Dindenault dont Panurge cherchait à se venger. De la falaise, il en jeta un à la mer et tout le troupeau suivit. Mais « revenons à nos moutons !!! »
Ils sont au centre de la première comédie purement française, La Farce de maître Pathelin, d'un auteur anonyme contemporain de Rabelais. On y voit le berger Thibault l'Agnelet accusé d'avoir volé les moutons du maître-drapier Joceaulme. Sur les conseils de son avocat, maître Pathelin, le berger, répond au tribunal en bêlant, embrouillant ainsi le discours du plaignant qui se met à confondre soudain draps et moutons, justifiant l'injonction du juge : « Sus ! revenons à nos moutons ! »



Rien ne sert de courir ; il faut partir à point

La Fontaine, « Le Lièvre et la Tortue », Fables, VI, 10 (1668)
L'art du fabuliste consiste surtout à résumer sa morale dans une formule polie comme le caillou qui défie le temps. Elle agace et l'on ne cesse de la parodier : « Rien ne sert de mourir, il faut mourir à point », raillait Jules Renard ; « Rien de sert de s'couvrir, il faut partir à poil » scandent les naturistes. 
La formule résiste. Tout comme la fable qui agace. On lui annexe même la morale toute différente de l'Évangile : « Les premiers seront derniers, et les derniers premiers »... 
Assez !!! À ce point, ce n'est plus de l'allusion, mais de l'obsession littéraire !... 
Faut-il encore après ça rappeler comment la tortue dépassa le lièvre ? Ayant défié le lièvre à la course, notre commère part de son pas de sénateur et se hâte avec lenteur pour arriver la première là où le lièvre aurait été en trois sauts s'il n'avait baguenaudé en chemin. 
On emploie aujourd'hui l'allusion, devenue proverbiale, pour signifier qu'un travail lent, mais constant, vaut mieux qu'un zèle intempestif mais mal soutenu. La maxime préférée des paresseux, qui espèrent ne pas se tromper de fable...
Si nous rattachons aujourd'hui le vers à la fable de La Fontaine, il semble bien que l'expression soit antérieure. Dans les règles du jeu de paume éditées par Jean robert en 1599, on trouve en effet ce conseil : « Un chacun sait bien que ce n'est pas le plus fort de bien courir, mais de partir à heure. »



Rire homérique

Allusion au rire inextinguible des dieux et des héros chez Homère
Par exemple, dans L'Iliade (I, 599, II, 270...) et L'Odyssée (VIII, 326, XX, 347...).
Platon l'avait déjà noté (République, III , 389 a).


Rodrigue, as-tu du cœur ?

Pierre Corneille, Le Cid, I, 5, vers 261 (1636)
Don Diègue, qui doit se faire venger par un fils sans expérience de combat, lui demande s'il a du courage. Mais la question est-elle si insultante qu'elle s'attire cette fière réplique :
« Tout autre que mon père / 
L'éprouverait sur l'heure ? » 
Non moins célèbre que la réplique, la parodie qui en fut faite immédiatement par Boisrobert, et que rapporte Tallemant des Réaux dans l'historiette qu'il lui consacre. Pour divertir Richelieu, auquel il sert, disent les mauvaises langues, de bouffon, l'académicien fait monter un Cid parodique par des laquais et des marmitons. À la célèbre invective, « Rodrigue, as-tu du cœur ? », le fier Campeador répond : « Je n'ai que du carreau... »


Science sans conscience n'est que ruine de l'âme

Adage scolastique connu par Rabelais, Pantagruel, VIII (1532)
Dans la lettre de Gargantua à son fils, avec une référence à Salomon.


Se battre contre des moulins à vent

L'image des moulins à vent est bien souvent associée à celle de Don Quichotte, le chevalier à la Triste Figure, héros du roman de Cervantès.
Le moulin, avec ses quatre longues ailes mobiles, représentait un ennemi invincible ; Don Quichotte, l'esprit perturbé, chargeait les moulins, lance en avant, aux cris de Dulcinée (sa dame de cœur), en un combat inégal. L'Espagnol fut emporté dans les airs par une aile, devant les yeux effarés de son écuyer Sancho Pança.
À l'origine, la locution signifiait se battre contre des chimères ou des fantômes, fruits de notre imagination.
Ce premier sens a quelque peu dérivé de nos jours et suggère un combat inutile tant la victoire est improbable.


Se réduire comme une peau de chagrin

Fait référence au roman de Balzac, La Peau de chagrin (1831)
Mais qu'est-ce qu'une peau de chagrin... puisque le chagrin n'est pas un animal ?
Le chagrin (du turc çâgri, croupe) est déjà une peau, celle d'un âne ou d'un mulet — de l'onagre, quand on préfère rester poétique. De cette peau prise sur la croupe de l'animal, on préparait un cuir grenu de médiocre qualité, utilisé en reliure. Avoir une peau de chagrin, au XVIIIe siècle signifiait donc avoir la peau très rude.
Cette peau dont le nom évoque si bien les misères de l'existence inspira à Balzac la première de ses Études philosophiques.
Raphaël de Valentin, son héros, ruiné et désespéré, attend la nuit pour se jeter dans la Seine lorsqu'il trouve, chez un antiquaire, cette peau de chagrin qui a le don de satisfaire ses moindres désirs. En revanche, elle rétrécit proportionnellement à l'importance du vœu accompli ; quand elle disparaîtra, son possesseur sera mort.
Le pacte serait honnête si les désirs irréalisables étaient seuls concernés. Mais Valentin voit sa peau se racornir à chaque souhait, à chaque désir. Une formule de politesse destinée à éconduire un ancien professeur importun lui rogne un morceau de vie ; il mourra dans les bras de sa fiancée, qui ne demande pourtant pas mieux que de répondre à son désir.
On a pu lire beaucoup de choses entre les lignes du célèbre roman balzacien. On y voit généralement le pouvoir dévastateur de la passion, qui consume la vie, mais ne même temps la nécessité de ce désir qui est la vie. La seule ressource de Valentin sera de s'enfermer et de refuser toute visite qui réveillerait en lui un désir : il ne comprend pas que c'est à la vie qu'il ferme sa porte. Le coupable ultime, d'ailleurs, semble moins l'homme, chez qui le désir est naturel, que la société qui exploite ce désir sans se soucier de son aspect destructeur.
L'allusion a surtout retenu l'inexorabilité du rétrécissement.





Se retirer dans sa tour d'ivoire

Vivre dédaigneusement, à l'écart de tout le monde
La locution a été mise à la mode par Sainte-Beuve, qui l'a appliquée à Vigny, « qui dans sa tour d'ivoire avant midi rentrait. »
La tour d'ivoire marque une position indépendante de celui qui se tient à l'écart de l'action et de l'agitation du monde. L'image avait toutefois un autre contenu dans la tradition biblique : « Collum tuum sicut turris eburnea » (Le Cantique des cantiques, 7, 5).



Sentir la chair fraiche

Allusion au Petit Poucet de Perrault
C'est la remarque de l'ogre à son retour. Cette expression stigmatise ironiquement les couples mal assortis (« Il aime la chair fraîche »).


Sésame

Aujourd'hui, un sésame est une sorte de passe-droit, lorsque l'on se recommande de personnes bien placées pour ouvrir bien des portes closes pour le plus grand nombre : références, recommandations permettent d'obtenir rapidement ce que de longues démarches ne peuvent garantir.
Autrefois, l'or agissait comme un sésame et maintes portes de prison s'ouvrirent comme par miracle pour laisser s'évader un riche détenu.
Dans Les Mille et Une Nuits, Ali Baba, caché dans un arbre, entendit le chef des quarante voleurs prononcer la phrase magique « Sésame, ouvre-toi », et aussitôt une porte s'ouvrit dans le rocher. 
Essayant à son tour, Ali Baba répéta la phrase magique et put pénétrer dans la caverne, « espace voûté et élevé, bien éclairé et où de grandes provisions de bouche et des ballots de riches marchandises pouvaient se voir de tous côtés. Il y avait surtout de l'or et de l'argent monnayés par tas considérables. » L'autre expression, « une caverne d'Ali Baba », est devenue populaire pour désigner un endroit où s'amoncellent toutes sortes d'objets hétéroclites.



Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi !

Paul Féval-Anicet Bourgeois, Le Bossu, I, 2 (1862)
Le caractère excessivement théâtral de la réplique réduit l'allusion à un emploi ironique pour marquer, avec grandiloquence, la détermination à aller jusqu'au bout d'un projet.


Silence prudent

Boileau, Épître I, « Au Roi » (1668)
« J'imite de Conrart le silence prudent »



Souffler le chaud et le froid

La Fontaine, « Le Satyre et le Passant », Fables, V, 7 (1668)
Comme la langue d’Ésope, qui peut être tour à tour la meilleure ou la pire des choses, le souffle du passant peut être alternativement chaud (sur ses doigts engourdis) et froid (pour tiédir le potage).
« Arrière ceux dont la bouche / souffle le chaud et le froid », s'exclame le satyre qui l'a recueilli. Mais la duplicité du passant est moins en cause ici que la stupidité du satyre. Pourtant, c'est l'hypocrisie que nous stigmatisons désormais dans cette expression.


Sourire mouillé de larmes

Homère, Iliade, VI, vers 484 (IXe siècle ACN) 
Sourire d'Andromaque à son fils Astyanax, après les adieux d'Hector.


Tel est pris qui croyait prendre

La Fontaine, Fables, VIII, 9, « Le Rat et l'Huître » (1671)

Tempête au fond d'un encrier

Victor Hugo, Les Contemplations, I, 7, Réponse à un acte d'accusation (1856)


Tempête sous un crâne

Victor Hugo, Les Misérables, I, 7, 3 (titre de chapitre) —(1862)


Tire la chevillette, et la bobinette cherra

Perrault, Le Petit Chaperon rouge (1697)
Même si petits et grands prennent un plaisir extrême à entendre conter ma mère l'Oye, inutile de rappeler en quelles circonstances la mère-grand invita à tirer la chevillette le grand méchant loup qu'elle prenait pour son petit Chaperon rouge...
Mais peut-être faut-il rappeler le fonctionnement d'une serrure aux noms barbares. La bobinette est un morceau de bois rond qui sert de verrou à la porte en pénétrant dans un creux du jambage. Une corde permet de manœuvrer de l'extérieur : la chevillette qui y est attachée permet de faire tomber ce verrou primitif, quand on la tire. Sur les quatre mots de l'expression, trois sont tombés en désuétude ! Il n'en fallait pas plus pour faire d'une banale invitation à entrer une véritable formule magique.
La phrase, fraîche et pimpante, n'a pas cette nuance ironique que l'on prête à son alter ego, Sésame ouvre-toi (Ali Baba et les quarante voleurs dans les Mille et une Nuits). Le sésame est un passe-partout auquel on reproche son caractère systématique, un peu trop facile — pas même besoin de tirer une chevillette !
On ne peut plus lire une réplique commençant par « C'est pour..., mon enfant sans songer à la litanie de maître loup —C'est pour mieux courir... écouter... voir... te manger, mon enfant.» 
On l'emploie pour répondre par une pirouette à une critique malveillante.



Tirer plus vite que son ombre

Formule plaisante, diffusée par la bande dessinée de Morris, Lucky Luke, et qui signifie tirer plus vite que quiconque.
À noter que « plus vite que son ombre » s'emploie avec d'autres verbes.


Tout ce qui brille n'est pas d'or

Signalé dans le Don Quichotte de Cervantès
Le proverbe est antérieur et attesté au XIIIe siècle : « N'est pas or quanque luit », Morawski, n° 1371.


Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute

La Fontaine, Fables, I, 2, « Le Corbeau et le Renard » (1668)



Tout vient à point, qui peut attendre

Rabelais, Quart Livre, ch. 48 (1548)




Tranche de vie

Jean Jullien, Le Théâtre vivant, Théorie, I (1892)
« Ce n'est donc qu'une tranche de vie que nous venons de mettre en scène ». 


Tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire

Raymond Queneau, Zazie dans le métro, ch.2 (1959) 
Leitmotiv de Laverdure, le perroquet du café-restaurant la Cave de Turandot. Il n'a effectivement que cela à dire, mais il le dit à propos, intervenant dans la conversation après s'être fort poliment essuyé le bec sur son perchoir. Comme, effectivement les protagonistes du roman passent autant de temps à se demander ce qu'ils vont faire qu'à agir, la formule continue à stigmatiser les beaux parleurs lents à se décider.
D'autres allusions sont restées de ce roman. À la situation, d'abord : Zazie n'est venue à Paris que pour voir le métro, qui est en grève tout le temps de son séjour. Elle ne le prendra qu'à l'heure du départ, mais endormie dans les bras de son oncle.
Le premier mot, Doukipudonktan est resté symbolique de la langue de Queneau et des ressources évocatrices qu'il peut tirer de la graphie. Il est aussi souvent invoqué pour justifier une réforme orthographique que pour la déconseiller, de même que les bloudjinnzes qui sont l'obsession de la fillette.
La dernière réplique du roman est à classer parmi les plus marquantes de Queneau, sinon de la littérature française. Après un séjour mouvementé qui culmine dans une bataille rangée contre les forces de l'ordre et avec la mort d'une vieille rentière, Zazie retrouve sa mère à la gare :
« Alors tu t'es bien amusée ? 
– Comme ça.
– T'as vu le métro ? – Non.
– Alors qu'est-ce que t'as fait ? 
– J'ai vieilli. »


Tu me fends le cœur

Marcel Pagnol, Marius, III, 1
N'ayant pas suivi attentivement la partie de cartes, Escartefigue se demande s'il soit couper à cœur. César, son partenaire, tente de lui faire signe, mais Panisse, outré, le surveille. César dramatise : « Quand tu parles sur ce ton, quand tu m'espinches comme un scélérat, eh bien, tu me fends le cœur... Pas vrai, Escartefigue ? Il nous fend le cœur ». 
Escartefigue, ravi, coupe à cœur, et Panisse, furieux, quitte la partie. Si on ne peut plus tricher avec ses amis, conclut César, ce n'est plus la peine de jouer aux cartes. Réflexion qui va plus loin que la boutade et qui contient une définition paradoxale de l'honnêteté : car bien tricher est un art qui a le droit d'être exercé, et le faire avec ses amis délivre de la tentation dans des circonstances plus officielles.


Tuer la poule aux œufs d'or

Cette locution bien connue est directement empruntée à La Fontaine.
Dans la fable, l'homme tua sa poule, espérant trouver en elle un trésor puisque chaque jour elle lui pondait un œuf d'or. Hélas, « il la trouva semblable à celle dont les œufs ne lui rapportaient rien. » 

Ubuesque

Absurde, insensé, incohérent, extravagant, saugrenu, grotesque, les synonymes d'ubuesque sont légion, comme si la langue française se plaisait à qualifier à l'envi ce qui est déraisonnable.
Le maître de l'absurdité dans notre littérature est sans conteste le personnage du père Ubu, un titre que revendiqua haut et fort son auteur Alfred Jarry (1873-1907).
L'auteur a voulu concentrer dans son personnage et celui de mère Ubu, sa volage épouse, tout le grotesque qui fut au monde.
Imbécile, méchant et même cruel, Ubu, sacré roi de Pologne et d'Aragon, se complaît dans l'arbitraire.
Pour s'enrichir, il décide de tuer tous les nobles de son royaume et de s'en approprier les biens. Insatisfait de ses magistrats et financiers, il leur fait subir le même sort. Accompagné de ses trois sbires, il se voit contraint d'aller de chaumière en chaumière percevoir l'impôt. La menace de décollation du cou et de la tête convainc les paysans d'obtempérer.
Dans un paroxysme d'imbécillité délirante, le père Ubu déclare qu'une fois fortune faite, il tuera tout le monde et s'en ira.
Jarry assuma son personnage jusqu'au terme de sa brève existence au point de parfois s'identifier à lui.

Voir : Merdre

Un frère est un ami donné par la nature

Vers de Gabriel Legouvé, La Mort d'Abel, III, 3

Cette phrase est placée dans la bouche de Caïn qui ne comprend qu'après son forfait l'importance des liens familiaux.
Mais n'oublions pas que fils du premier couple humain, Caïn ne pouvait se faire d'autre ami que celui donné par la nature !!!...



Va, je ne te hais point

Corneille, Le Cid, III, 4
L'hémistiche est resté comme exemple de litote (figure rhétorique consistant à nier le contraire de ce que l'on pense). 


Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage

Cf : « Hâtez-vous lentement », 
Boileau, L'Art poétique