Celui que l'on charge de tous les torts, à qui l'on fait porter la
responsabilité pour les autres
Une fois par an, le jour des Pardons, les prêtres doivent faire
disparaître toute impureté de la communauté d'Israël en
transférant les fautes sur un bouc que l'on chasse du troupeau
afin qu'il les emporte vers une terre stérile. Deux boucs sont
présentés à Yahvé ; le sort désigne celui qui appartient à Dieu et
doit être sacrifié, et celui appartient à Azazel (hébreu 'azazêl,
force de Dieu, nom donné au bouc émissaire). L'animal n'est
donc pas mis à mort mais exilé et la malédiction de la terre
retombe sur un sol déjà aride. Son sort n'est peut-être pas plus
mal que celui du bouc qui sera sacrifié à Yahvé...
Cette expression biblique est une des plus employées car elle
correspond malheureusement à un phénomène social des plus
répandus.
Il y a plusieurs espèces de boucs émissaires. La situation de
base est celle d'une communauté coupable dans sa totalité et
qui, pour ne pas porter sa responsabilité, la délègue à l'un de
ses membres qui paiera pour tous les autres. Mais cette
culpabilité peut être réelle ou supposée. Comment dès lors
désigner le bouc émissaire ?
Ce peut être le plus faible, ou mieux un authentique
criminel, même si sa faute n'a pas de rapport évident avec le
mal encouru. Une simple tare physique ou morale qui
dénonce déjà un membre de la communauté comme mal
aimé de Dieu peut désigner sans risque d'erreur la victime
idéale : les borgnes, bossus, roux, gauchers et idiots de
village en savent quelque chose... Très prisées aussi pour
tenir ce rôle, les minorités ethniques ou sociales (juifs,
Francs-maçons, homosexuels, travailleurs
immigrés...).
Plus simple et expéditif, désignons nos ennemis personnels !
Nec plus ultra, enfin : celui qui réunit deux ou trois de ces
péchés originaux.
Nos sociétés évoluées n'ont bien sûr plus de tels dérivatifs à la
mauvaise conscience collective, mais on recourt volontiers aux
boucs émissaires lorsqu'un groupe social défini a commis une
faute bien réelle.
La multiplicité des expressions pour désigner le phénomène
(porter le chapeau, refiler l'ardoise<, soupape de sécurité,
fusible...) est en soi révélatrice. Le bouc émissaire est alors une
façon de conforter le pouvoir en place, qui n'a plus à craindre de
répondre de ses actes s'il a pris la précaution de multiplier les
relais de responsabilité.
Et n'est-ce pas pratiquement le cas à l'échelle de tout un peuple lorsqu'il pouvait acheter son innocence au prix d'un bouc ?
AT - Lévitique, livre 16, versets 8 à 10 et 20 à 22