Quand un robinet fuit ou une lampe se déglingue, on hésite à appeler un réparateur officiel dont l'auscultation vaut déjà une fortune et qui, s'il change un joint ou un cordonnet, vous entraîne dans des frais sérieux.
Les ouvriers qui travaillent au noir, enfreignant toutes les conventions collectives, semblent calquer l'appellation de leurs services sur le célèbre marché noir, celui qui fleurit dans l'ombre clandestine des années 40, et dont les échanges avaient parfois lieu dans des caves effectivement obscures. L'aspect illicite et plein de dangers de ces activités évoque en fond ténébreux la magie noire et les messes du même tonneau...
Or, si ces motivations souterraines ont sûrement participé au succès de ces expressions parentes, elles n'ont pas été suffisantes pour les créer !
Contrairement à l'idée reçue, le marché noir, aussi bien que le travail au noir existaient en France avant la guerre de 1939; il semble même que l'un ne dérive pas de l'autre, mais qu'ils aient tous deux empruntés à l'allemand dans les années qui suivirent la guerre précédente, années pendant lesquelles c'était le Français qui était l'occupant.
Le professeur J. Fourquet, en retraite à Fresnes, apporte les précisions suivantes : « En allemand, le terme de composition Schwarz (noir) entre dans des composés tels que : Schwarzarbeit, travail au noir
Schwarzbrenner, bouilleur de cru clandestin
Schwarzfahren, voyager sans billet
Schwarzgeschäft, trafic clandestin
Schwarzmarkpreis, prix de marché noir
Scwarzschlachten, écouter la radio sans payer la taxe. Ce sens de scwharz a connu une diffusion particulière à l'époque des restrictions dues à la guerre de 1914-1918.
Le Schwartzschlachten, abattage clandestion ou au noir de 14-18 avait amené la sérieuse administration prussienne à réagir : il y avait pour chaque cochon un bulletin de naissance, un passeport pour les déplacements, et un acte de décès !
Il est donc vraisemblable que le marché noir nous vienne de l'Allemagne de 1914-1918. »
Ces suggestions sont corroborées par M. Léon Martineau de La Roche-sur-Yon : « L'expression marché noir était certainement connue dans des pays qui subissaient dès avant la guerre des restrictions alimentaires et de matières premières (l'Allemagne, par exemple). Le marché noir français ne devait apparaître que plusieurs mois après. »
Sur le travail au noir, M. Martineau fournit également des renseignements très clairs : « Issu d'une famille d'artisans, j'ai soixante-cinq ans ; il me souvient d'avoir entendu déjà dans les années 30 les parents pester contre le travail noir ou le travail au noir. L'expression était d'ailleurs, dès cette époque, employée dans des documents officiels et dans des revues des chambres de commerce et de métiers » (lettre du 5 février 1981, à M. Claude Duneton).