Courir comme un dératé

Sans point de coté 
Mis à part le rôle utilitaire en cas de besoin impérieux, la course à pied a toujours fasciné les foules soit dans la compétition directe d'homme à homme, soit par animal interposé. Hélas ! nous savons tous depuis l'enfance que même les plus ingambes et les plus résistants au souffle sont sujets à une faiblesse commune : le fameux point de côté qui vous plie en deux et vous oblige à vous arrêter. 
Les Anciens croyaient que c'était la rate, organe un peu mystérieux, qui dilatée par l'effort causait cette douleur poignante (de poindre, piquer) au-dessous des côtes. Les Grecs et les Romains avaient donc essayé de remédier à cet inconvénient chez leurs champions du stade par un traitement approprié que décrit Pline l'Ancien : « La prêle employée en décoction dans un récipient de terre neuf, qu'on a rempli jusqu'au bord et qu'on a laissé réduire d'un tiers, consume, bue pendant trois jours par hémines, la rate des coureur, qu'on prépare à ce traitement par une abstinence de toute matière grasse ou huileuse durant vingt-quatre heures » (cité par Maurice Rat).
En fait, ils inventaient la diététique ! 
Encouragés par ce texte, et par les progrès naissants de la médecine, certains chirurgiens de la fin du XVIe siècle résolurent d'apporter au problème une solution radicale : l'ablation pure et simple de ce viscère encombrant. Le Dictionnaire de Trévoux fait de cette expérience un récit désapprobateur à l'article dérater : « Ce mot fut mis en usage par une secte de Chirurgiens qui s'éleva il y a environ un siècle. Ils prétendaient que l'homme tirerait de grands avantages s'il se faisait ôter la rate, ce qu'ils appelaient dérater. Les chiens auxquels ils avaient fait cette cruelle et bizarre opération ne moururent pas sur-le-champ, mais peu de temps après, ce qui fut cause qu'aucun homme ne voulu se faire dérater, pour jouir des prétendus avantages que vantaient les auteurs de cette opération. »

Pourtant la blague a fait fortune : on dit courir comme un dératé, précisément en mémoire de ces expériences qui furent accueillies par une franche rigolade.
Toutefois l'expression n'apparaît pas avant le début du XIXe siècle. Napoléon Landais la signale dans son dictionnaire en 1836 : « Courir comme un dératé, comme on suppose que pourrait le faire une personne à qui on aurait ôté la rate. »