Faire des yeux de merlan frit

Dans son édition de 1898, Larousse l'explique ainsi : « Lever les yeux au ciel, d'une manière ridicule, de sorte qu'un en voit plus que le blanc ». C'est une gestuelle de cinéma muet, qui, accompagnée de soupirs énamourés de rigueur, n'a guère plus cours chez les amants... L'expression est pourtant demeurée en usage depuis le dernier quart du XIXe siècle, où elle est apparue reprenant une notion d'œil blanc qui était jusque là l'apanage de la carpe. C'est en effet la carpe, poisson d'eau douce autrefois fort commun sur toutes les tables, qui a fourni le prototype de cette image culinaire de la pâmoison amoureuse, réelle ou rêvée. 
Une oeuvre rare et précieuse, les Œuvres badines du comte Caylus apporte la preuve irréfutable que la métaphore des yeux de poisson frit était déjà bien établie dès la première moitié du XVIIIe siècle : « Un jour, c'était pendant le grand chaud de l'été, s'étant retiré dans une grotte qui était au bord de ce canal, il vit une belle grande carpe, mais grande comme une personne ; ce qu'on remarquait davantage, c'était ses yeux ; jamais on n'en avait vu de si tendres. C'est de là qu'on a dit des amants qui regardent tendrement leur belle : qu'ils font des yeux de carpe frite », Caylus, Recueil de ces Messieurs, 1745