Tenir le haut du pavé

Pour ne pas se crotter 
Le trottoir est d'invention récente. Les rues pavées d'autrefois comportaient un caniveau central, égout en plein air qui charriait les eaux sales pleines d'immondices. 
Il y a bien longtemps, quand les trottoirs et les caniveaux n'existaient pas encore, au milieu des rues, venelles et ruelles de nos cités, courait une rigole qui concentrait les eaux pluviales et autres liquides moins limpides. En coupe transversale, les rues avaient donc la forme d'un V évasé, et si l'on ne voulait pas se souiller les chausses, mieux valait circuler au pied des maisons ou des murailles, c'est-à-dire sur la partie la plus haute de la chaussée.
Les longues robes traînant jusqu'aux pavés se trouvaient parfois maculées s'il fallait faire un écart vers le ruisseau. Qui faisait cet écart ? Les plus humbles face aux plus altiers, les plus démunis face aux plus huppés, les plus faibles face aux plus forts, les plus discrets face aux plus arrogants.
Pour éviter aux gens de haute condition de s'y crotter, la politesse voulait qu'on leur cédât le passage le long des façades, le haut du pavé. Au risque toutefois pour eux de recevoir sur la tête le contenu d'un pot de chambre ou d'une bassine d'eau de vaisselle. Les riverains avaient beau crier garde à l'eau, les accidents étaient nombreux. 
L'emploi du verbe tenir laisse entendre que celui qui se tenait en haut du pavé n'était pas disposé à laisser sa place ; il tenait l'endroit comme on tient une place forte et ceux qui possédaient une escarcelle peu remplie n'avaient que peu d'espoir de s'éloigner du ruisseau.
On raconte que le roi Saint Louis lui-même, se rendant de bon matin à un office en l'église des Cordeliers, reçut sur la tête le contenu d'un vase de nuit expédié de la chambre d'un étudiant !